
LECTURES…
Livre de Sylvain Missonier, Rencontre avec Michel Soulé, Eres 2015.
De la psychiatrie de l’enfant à la psychiatrie Fœtale.
Avant de présenter cet ouvrage de Sylvain Missonier avec la participation de B.Golse et de P. Delion, nous ferons une brève présentation de l’auteur et du parcours de Michel Soulé.
Sylvain Missonier est Directeur du Laboratoire du PCPP (Psychologie Clinique, Psychopathologie, Psychanalyse) et Professeur depuis 2009 de psychopathologie clinique de la périnatalité et de la première enfance à l’Université Paris Descartes. Psychanalyste et psychologue clinicien il est membre de la SPP (Société Psychanalytique de Paris). Membre du Comité scientifique et de rédaction du périodique « le Carnet Psy », il dirige avec un comité éditorial la collection d’ouvrages « La vie de l’enfant » aux éditions Eres. Sylvain Missonier est co-président du groupe francophone de l’Association mondiale de santé mentale du nourrisson (WAIMH F) et co-fondateur et animateur du réseau SIIRPPP et du SIICLHA. Il est membre du Réseau de la communauté périnatale de Versailles.
C’est à l’issue de ses formations universitaires en philosophie, psychologie et psychanalyse qu’il s’est initié à la psychiatrie de l’enfant et dans les années 80 qu’il s’intéresse aux bébés et suit le séminaire de Serge Lebovici et travaille à Bobigny auprès de jeunes enfants. A la même période, il suit les enseignements de psychologie à l’Université de Paris Descartes des surnommés « 3 mousquetaires » ou « LSD » (Lebovici, Diatkine et Soulé) pour leur traité novateur de la psychiatrie infantile qui s’est étendu à l’ensemble de la psychanalyse. Sylvain Missonnier va oeuvrer aux côtés de Michel Soulé pour une clinique périnatale interdisciplinaire afin de permettre que le processus de développement foetal soit reconnu comme essentiel et qu’il soit considéré comme le premier élément constitutif à tout être à prendre en considération dans toute prise en charge thérapeutique ou éducative.
Michel Soulé sera un des premiers pionniers à s’intéresser à la vie foetale. Décédé le 30 janvier 2002, il était pédopsychiatre et psychanalyse, professeur honoraire de l’enfant à l’université de René Descartes
de Paris V. Il fut membre titulaire de la Société Psychanalytique de Paris et l’un des premiers créateurs de la psychiatrie psychanalytique de l’enfant avec Serge Lebovici et Gilbert Diatkine, qui deviendront à eux trois de futures figures majeures de toute une jeune génération de pédopsychiatres. Michel Soulé a fait des études de mathématiques en répondant à l’injonction de son père comme il avait l’habitude de le raconter. Puis, se dirigera vers des études de médecine et de pédopsychiatrie. Il commencera sa carrière comme pédiatre dans les services du Professeur M. Lelong et sera ensuite interne en psychiatrie. Il dirigea de 1955 à 1980 la consultation de psychiatrie infantile à l’hôpital Saint Vincent de Paul. Michel Soulé animera la consultation de cette institution en psychiatrie de l’enfant avec L. Kreisler, J. Noel, F. Bouchard. M. Soulé et L. Kreisler formeront un véritable tandem qui développera les réflexions et travaux sur la psychosomatique.
Il débuta son travail avec l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance), en 1965 il crée et dirige jusqu’à la fin de son activité le Centre de Guidance Infantile de l’IPP (Institut de Puériculture de Paris) comme centre entièrement dédié à la clinique précoce et à la question de la prévention. Il sera le créateur en 1970 d’un hôpital de jour pilote, qui connaitra une renommée tant en France qu’à l’international. Il sera innovant dans la prise en charge précoce des jeunes enfants autistes. Michel Soulé sera le premier à inviter T.B. Brazelton en France en 1981 et à le publier en Français dans l’un de ses ouvrages. En 1985, il sera nommé Professeur de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et formera et transmettra avec passion ses connaissances à un grand nombre de psychiatres et psychanalystes actuels. Il reste à ce jour une figure emblématique de la pédopsychiatrie, du prénatal et incontestablement un maître à penser de l’enfance.
Cet ouvrage de la collection « Rencontre Avec » nous offre une transmission vivante et dynamique d’une rencontre entre Sylvain Missonier et Michel Soulé. Bénéficiant du soutien de L’ARIP et de Christiane Souillot pour la retranscription des entretiens, il reflète l’engagement personnel et professionnel de Michel Soulé. Alliant biographie et outils conceptuels, théorie, il est pour toute personne désirant approcher la psychiatrie de l’enfant et la psychiatrie fœtale un excellent ouvrage pour débuter et prendre conscience de l’histoire qui fait trace dans l’actuel.
Dès le début du livre l’entretien guidé par Sylvain Missonier avec Michel Soulé, nous offre une parole pleine nous permettant ainsi de mieux saisir son œuvre et sa vie sous le regard d’un de ses collaborateurs passionné.
Dans la seconde partie, M. Soulé retrace sa découverte de la problématique des enfants placés à l’ASE lors de ses premières années d’interne en pédiatrie à St-Vincent-de-Paul, ce qui va jouer un rôle déterminant pour la suite de sa vie professionnelle. Evoquant les textes de Bowlby où est abordé « le problème de carences et des pertes de compétences chez l’enfant », ainsi que la façon dont la communauté pédiatrique avait pu recevoir cet écrit, M. Soulé nous fait part de cette difficulté qu’il a eu à se situer dans sa profession. Ne pouvant se positionner en dehors du « clan des psychiatres d’enfants et psychiatres de bébés » il est sensibilisé par ce qu’il observe au quotidien. Il découvre le placement de l’enfant à l’Aide Sociale à l’Enfance et rédigera son premier article de psychiatrie infantile : « La carence de soins maternels dans l’enfance. La frustration précoce et ses effets cliniques ».
Tout au long de la retranscription par souci de transmettre, M. Soulé évoque de façon très riche et détaillée, les premiers débuts de réflexion, de prise en charge et de prévention au niveau de la petite enfance. Il décrit de façon chronologique avec attention en effectuant constamment des liens avec sa vie, son oeuvre, son parcours, ses rencontres, sa militance et ses actions vis-à-vis de l’ASE et du Ministère de la Santé. Il développe ainsi des relations de travail avec Simone Weil, participe à l’élaboration du rapport Bianco et du Document « P » (la Prévention médico-psycho-sociale de Michel Soulé et Janine Noël) qui constituera la base du tome III du Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent publié sous la direction de S. Lebovici, R. Diatktine et Soulé en 1985).
Nous découvrons aussi un personnage comme le nomme Missonier « foetologue », organisateur de journées scientifiques de la WAIMH (World Association of Infant Mental Health), ou psychosomaticien. Pour chaque fonction il veille à évoquer les raisons scientifiques, circonstances professionnelles et personnelles, les aspects historiques personnels qui l’on conduit à se pencher sur la vie du foetus et ses premières approches avec l’échographie.
Il retrace brièvement son parcours de psychiatre dirigeant de la Guidance Infantile à l’Institut de Puériculture et de Périnatalogie de Paris et les évènements qui surviennent avec les interruptions médicales de grossesse pratiquées par l’équipe des Docteurs Daffos et Forestier. En tant que formateur en psychologie sociale, intervenant lors de la création du COPES (Centre d’Ouverture Psychologique Et Sociale), M. Soulé évoque sa participation pour la mise en place de cycle de conférences où la pédiatrie sociale ou la psychiatrie sociale sont développées. Il sera enseignant aux côtés de Simone Weil et tentera la mise en place de cours sur la psychologie fœtale mais en vain. Malgré son souhait de transmission et son ambition, le public n’était pas prêt encore à recevoir le caractère novateur du contenu de ses formations.
Autre passage important de sa vie, sa rencontre avec Lacan, Pasche, Marty… On découvre alors un parcours analytique avec plusieurs psychanalystes dont Lebovici. C’est à cette période que se fait son affiliation et son adhésion à la SPP. Michel Soulé est aussi ambassadeur en Italie de la psychiatrie infantile, il participe à de nombreuses réunions annuelles auprès de Golse, Rufo et Missonnier à l’Université de Padoue. Lors des entretiens retranscrits dans cet ouvrage, M. Soulé nous propose de nombreux détails biographiques qui nous montrent que sa carrière professionnelle est jalonnée par de nombreuses lignes de forces qui viennent se croiser avec sa propre histoire. Les rapports relationnels et affectifs qu’il entretient avec son père, sa mère, mais aussi la part transgénérationnelle qu’il porte vont jusqu’à le conduire à Rio sur les traces de son grand-père où il présidera avec Brazelton un congrès de psychiatrie infantile sud-
américaine. Dans cet entretien très riche et très complet, M. Soulé nous décrit sa traversée des deux guerres, son parcours d’externat et d’internat de Paris et comme le nomme Missonier « sa Légion d’honneur Œdipienne. ». Par la suite une grande place est faite autour du document P. véritable outil de prévention, de formation et d’information réalisé avec Janine Noël. Il est repris ici dans sa version originale de 1980, où sont décrites entre autre les notions de risques et de vulnérabilités, les difficultés antérieures à toute prévention précoce et une multitude de détails concernant les apports des études épidémiologiques. Il est précisé les indicateurs de risques en fonction des différentes périodes et les différents programmes d’actions à valeur préventive inhérentes autour de l’arrivée de l’enfant.
Dans la 4ème et dernière partie de l’ouvrage, c’est un chapitre entier sur la vie du fœtus. Michel Soulé développe ici l’intérêt d’étudier les conditions de vie du fœtus en nous offrant un grand nombre d’informations, qui s’articulent avec ses connaissances et son expérience en imagerie médicale. Il retrace, ici la façon dont le fœtus perçoit les bruits extérieurs, et apporte des observations faites en effectuant des ponts avec Freud, Spitz sur le plan clinique. C’est donc un voyage au sein de la cavité primitive, du mérycisme ou bien des procédés auto calmants du fœtus, que nous découvrons au fil des pages. Dans cette partie Michel Soulé questionne et revisite aussi l’inquiétante étrangeté de l’image échographique du fœtus, en offrant une place principale à l’imagerie et à ce qu’elle peut induire, et comment elle peut intervenir dans les processus et réaménagements de la vie fantasmatique de la femme enceinte. En s’appuyant sur le texte de D.W. Winnicott, « la haine dans le contre transfert », il nous renseigne sur le glissement de dénomination, contenu du ventre maternel du mot fœtus au mot bébé et sur les processus qui se déploient servant à annuler toute perception de la haine. Il détaille la haine au niveau de la biologie chez la mère pour ce corps étranger, en décrivant les fantasmes « terrifiants » des formes imagées d’intervention de l’obstétricien. Michel Soulé explique le rôle et la nécessité d’amener la mère à penser ces idées de haine et leurs formulations. Il évoque brièvement les processus de haine aussi en jeux du côté du père et des équipes de médecine fœtale, les obstétriciens. Dans cette partie, on retrouve une description complète des différentes interactions qui s’effectuent entre la mère, le placenta et le fœtus et comment cela peut influer jusqu’à l’accouchement. Il évoque ainsi la triade biologique et la violence fondamentale expliquant les phénomènes de « rejets de greffe ». Pointant l’idée que la grossesse serait l’idée d’une exception paradoxale à la règle du rejet de toute greffe hétérogène mais aussi un paradoxe immunologique, Michel Soulé nous transmet son savoir sur l’immunologie et la biologie foetale. Il reprend ainsi Gachelin, Gosme-Séguret ou Marty et Freud pour faire des liens avec les maladies psychosomatiques et les troubles fonctionnels précoces. Nous trouvons beaucoup d’exemples cliniques de dysfonctionnements qui seraient conséquents à ce qu’il nomme la « Triade Biologique ». A la suite, on retrouve un texte enregistré d’Alain Casanova, diffusé lors d’une journée scientifique en 2005, où Michel Soulé aborde avec beaucoup d’humour le rôle joué du placenta. Serait-ce « sa vie, son oeuvre, son dévouement », concluera t-il sur cette partie en tirant « sa délivrance ».
Sylvain Missonier, achève ce livre en intégrant l’hommage de B. Golse prononcé le 07 Février 2012 lors des obsèques de Michel Soulé au Cimetière Montparnasse à Paris. A la fin de l’ouvrage on constate au travers des mots de P. Delion le témoignage d’une profonde admiration, un respect et de l’affection pour cet homme, qui aura marqué profondément tous les professionnels de la psychiatrie foetale et infantile et les professionnels de la protection de l’enfance. Nous ne pouvons que recommander ce livre qui nous permet une rencontre exceptionnelle avec Michel Soulé à travers des passages de vie qu’il nous dévoile au fur et à mesure des pages ainsi qu’au travers de ses différents parcours professionnels et personnels qui finalement façonnent cet itinéraire si particuliers qui fait de lui un des pionniers de la pédopsychiatrie en France.
Karine Henriquet, 2017
La recension est téléchargeable sur cairn : (2017). Lectures. Psychologie Clinique, 43, 201-242. https://doi.org/10.1051/psyc/201743201
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